HÉBERGER ET/OU RÉINSÉRER

De la normalisation à l’insertion

Après la guerre, la loi du 13 avril 1946 prévoit la création de centres de reclassement destinés à des populations à la marge de la société. Ces structures accueillent notamment des prostituées en vue de leur
« normalisation ». L’aide sociale à l’hébergement (ASH) est introduite dans la législation par les directives ministérielles de 1953 et 1954. Le travail est au cœur du reclassement. Les personnes sont accueillies dans un environnement asilaire voire semi-carcéral, elles ont très peu de liberté et se conforment aux exigences et règles des institutions. Les personnes sont alors divisées en deux groupes : les reclassables et les non classables. Jusque dans les années 60, les centres qui existent sont qualifiés « d’institutions totalitaires qui accaparent le temps de vie des individus dans un lieu où doit se réaliser l’ensemble des actions de la vie sociale : travail, nutrition, repos… » (Erving Goffman). Sous l’impulsion de la FNARS, la loi du 10 novembre 1974 traite pour la première fois des CHRS : centres d’hébergement et de réadaptation sociale « peut bénéficier de l’aide sociale à l’hébergement toute personne dont les ressources sont insuffisantes et qui éprouve des difficultés pour reprendre ou mener une vie normale, notamment en raison du manque ou de conditions défectueuses de logement, et qui a besoin d’un soutien matériel et psychologique et, le cas échéant, d’une action éducative temporaire ». La loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales précise le cadre de l’action des CHRS et prend en compte les dimensions psycho socio-économiques. Selon Pierre Bergeron « on commence à reconnaître le statut de victime pour une partie des pauvres notamment ceux qui manifestent une certaine bonne volonté à reconnaître leur responsabilité ». A cette époque, les Centres d’Hébergement se spécialisent, des ateliers de retour à la vie active se développent et les processus d’admission filtrent les personnes en capacité de travailler et celles qui ne le sont pas. Suite à une nouvelle impulsion de la FNARS qui fait pression sur l’Etat, une circulaire permet de scinder l’accueil en Centre d’Hébergement de l’adaptation à la vie active, ce qui a pour effet de diminuer cette ségrégation à l’entrée des centres. Un premier pas vers l’insertion par l’activité économique est réalisé en 1979. Le grand changement des CHRS s’opère entre 1986 et 1995, lorsque le mot insertion fait son apparition.
La modification des pratiques en CHRS est la conséquence du droit au logement et de la loi du 1er décembre 1988, article 1, qui stipule que « toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’existence, a droit à une aide de la collectivité pour accéder à un logement décent et s’y maintenir ». La question de l’hébergement est dépendante de celle du logement sur le territoire, car plus un territoire est étendu plus le nombre de places d’hébergement va se développer. Les associations ne s’approprient pas encore la question du logement. Nous sommes dans la prégnance du discours sur les difficultés des personnes et leur probable incapacité à accéder à un logement ; pour y accéder il faut donc sortir du CHRS en ayant levé tous les freins de l’insertion.

Qu’en est-il aujourd’hui ?
La mission d’un Centre d’Hébergement c’est l’insertion par le logement et par l’emploi, cela va donc questionner la disponibilité de logement pour des publics aux faibles ressources, accentuée par les prix élevés des logements sociaux sur les territoires urbains où sont implantés les CHRS.

« Il faut négocier dur pour faire adhérer une personne à une inscription au SIAO qui d’ici 3 à 6 mois l’orientera vers un CHRS par exemple […] Le délai d’attente est long, très long, impossible à entendre par des personnes soit à la rue, soit en squat, soit en hébergement précaire » témoigne Marie-Claire LAHERRERE, bénévole au service accueil social.

Face à cette pénurie d’offre de logement, l’Etat a augmenté les obligations en matière de construction de logements sociaux (loi Alur) et les dispositifs d’accès/retour à l’emploi se multiplient afin d’augmenter les ressources des demandeurs.
Dans le cadre du logement d’abord, les personnes souhaitent, pour la plupart, accéder à un logement directement, sans passer par la case CHRS. Mais dans la réalité, les personnes en CHRS passent un temps non négligeable à attendre leur logement. En Gironde, le délai – anormalement – long d’attente est de 3 ans ce qui est d’autant plus compliqué pour des personnes fragilisées, stigmatisées car présentant des freins sociaux.
Il reste au sein des CHRS des publics pour lesquels l’accès au logement dit ordinaire n’est pas adapté, ils auront besoin d’un logement accompagné ou adapté (pension de famille…). Il va donc aussi être nécessaire d’inventer de nouvelles formes d’habitat pour faire face à cette pénurie (habitat partagé, colocation…) et inventer de nouvelles formes d’habitat adaptées à des problématiques spécifiques : difficultés d’insertion, besoin permanent d’accompagnement médico-social, ou adaptées à des caractéristiques sociales et culturelles.
Le CHRS a donc évolué d’une vision quasi carcérale à un réel espace d’émancipation. Une amélioration de la prise en charge à laquelle s’ajoute l’empowerment (pouvoir d’agir) qui vise à désinstitutionnaliser les pratiques sociales pour aller de plus en plus vers des projets individuels où les personnes bénéficient d’un programme particulier lié à leurs attentes, aspirations…

Philippe RIX,
Directeur Général du Diaconat de Bordeaux

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